dimanche 18 mars 2007

ACTE

Elle, dont les bras blancs, maigres et chargés (chargés d'énergie et de tension bien sûr mais aussi chargés d'histoire - de l'art dramatique, de la politique (contestataire)...-, et d'amour, et de fatigue), musclés bien que peu entraînés, se détachent virtuoses en hauteur, lestés, pondérés, mesurés, raffinés par des années et des semaines de techniques, apprises dans des écoles (des conservatoires mais aussi des écoles plus modestes, parfois même des écoles non artistiques) et par expérience, sculptés par la grâce (et l'anorexie), et inondent l'horizon suspendu que seule, plate et étroite, sa silhouette aigre si reconnaissable vient fendre - canif, lame, glaive, fleuret - , par des gestes ou plutôt des soupirs ascendants, des extases qui ne conduisent ni à l'effondrement (type d'extase qui conduit elle-même généralement à l'inévitable réanimation) ni à la réclusion ni à la constance du sourire ou encore des hocquets dont seule la puissance de compression et de détente aurait été conservée, en ôtant toute la brusquerie du surgissement qui le caractérise habituellement, a, après être descendue, partie et sortie, après avoir rencontré ses amies actuelles et les amies plus anciennes, ses amies d'enfance, qui sont aussi émaciées qu'elle et aussi régulièrement morigénantes, après avoir planifié un dîner inventif, qui réunirait ses collègues (qui s'avèrent, pour certaines, être aussi ses amies actuelles, qui s'avèrent aussi, pour certaines d'entre elles, être ses amies d'enfance) et leurs ami.e.s proches, actuel.le.s ou d'enfance, autour d'un plat, d'un objet, d'une substance ou d'une boisson qu'une connaissance de longue date, d'origine asiatique, mais parlant le français et l'anglais, aurait confectionné dans le secret qu'un tel acte créatif impose, décidé, après s'être aimablement enquis de mes désirs, de ma santé, de mon coeur et de mes projets, accompagnant cette enquête de courtoisie - à laquelle j'ai répondu avec la précision, le bonheur et le secret que la réalité de ma situation dans ces différents domaines implique - par la proposition d'une boisson, d'un reste de vin rouge qu'elle promettait abondant, d'incorporer, de cacher, de verser pourrais-je presque dire, avec la plus grande malveillance, avec une perversité et une technicité que sont loin d'égaler les diamantaires-escrocs d'Anvers (peut-être d'ailleurs certainement plus rapaces que pervers), des pointes et des échardes que je la soupçonne d'avoir collecté, sans scrupule ni compassion, dans les pieds abîmés et meurtris d'une de ses collègues danseuses travaillant dans un mas authentique et insalubre où les planchers effrités ont la particularité de s'effilocher et de transpercer les voûtes plantaires, parfois dures et calleuses mais jamais assez sèches pour être impénétrables, des artistes en résidence ou en formation, y travaillant, et qui sont venues, conformément à son dessein diabolique parce que dissimulé, piquer, blesser, traverser, endommager, heurter, agresser mes lèvres que je trempais alors, avec la délicatesse que la circonstance post-évènementielle requerait et avec la grâce que des années d'observation des chargées de mission autrichiennes et suisses allemandes m'ont permis d'acquérir, dans le verre de vin bordeaux qui venait de m'être proposé, adressé et offert, de la manière que je viens de décrire. Je saigne encore.

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