mardi 9 mai 2006

ROMAN DE GUERRE

Au moment où les affinités se déclarent, où les regroupements se politisent, où les moustaches en sueur s’accolent fraternellement au moment des embrassades de fin de réunions, au moment où les urgences, les grandes causes, les discours tremblant d’émotions font émerger les charismes, maquillent les yeux de certain.e.s et couvrent de honte les viasges des autres, au moment où les mensonges, les alliances, les apostasies grandiloquentes, les excommunications, les saltos, les culbutes déchaînent les compérages, les frottements, les poils-à-poils confiants et les cohabitations lumineusement précaires, £ caresse plus que les autres ne le font, caresse les plus minces, les moins maquillé.e.s, les moins brillant.e.s, les moins vibrant.e.s, les moins sûr.e.s des connivences affinitaires, les moins prompt.e.s à reconnaître les moustaches bienveillantes, les moins habitué.e.s à ce que les transpirations militantes, les discours virils et les attouchements politiques les détendent, les moins habitué.e.s à guetter les prolongements nocturnes des votes de la journée, £ les enveloppe, leur explique son point de vue, les réchauffe, leur offre des livres, les masse, les enivre, les aime, les protège, les embrasse entre ses larges épaules, les guide, les flatte, les présente, les trouble.

Pendant les assemblées générales, extraordinaires et ordinaires, pendant les commissions, les plénières, les paritaires, les non-mixtes, les représentatives, les célébrations, pendant les cérémonies (informelles), pendant les réunions préparatoires, pendant les conciliabules palpitants et décisifs, pendant les apéritifs sororaux (et fraternels), lorsque les bières mouillent et adoucissent les moustaches, pendant les colloques, les séminaires, les universités estivales, les conférences publiques, pendant les votes, pendant les prises de paroles, £ est plus grand que les autres, s’irrite plus, s’échauffe plus, s’avance, se retire, sue, s’enroue, séduit, tempête ; £ s’offre tout entier, se bat corps et âmes, jette son corps dans la bataille, n’y va pas par quatre chemins, met du cœur à l’ouvrage ; £ cligne et opine vers les plus jeunes, les plus indécis.e.s, les plus pâles, les plus tremblant.e.s et les moins loquaces ; £ clame ses convictions avec d’autant plus d’ardeur, de générosité, de fougue, d’entêtement, de brio, de talent qu’il réserve des œillades arbitraires et discrétionnaires et dominatrices et irrésistibles aux plus doux.douces, aux plus perdu.e.s, aux plus soumis.es, aux plus joli.e.s, aux plus évanescent.e.s.


£ n’est pas ou pas seulement un mauvais homme politique, un mauvais syndicaliste, un mauvais directeur, un mauvais cardinal, un proviseur pédophile, un professeur aux mœurs douteuses qui abuse de son pouvoir pour séduire et escroquer de jeunes précaires, ébloui.e.s et impressionné.e.s, qui se sert de sa stature pour rallier les crédules. £ n’est pas misérable, n’est pas isolé, n’est pas criminel, n’est pas déséquilibré. £ est officiellement et réellement et sincèrement brillant, aime vraiment les textes qu’il défend en sueur, n’est pas cynique, n’est pas seul, n’est pas fourbe, n’est pas cauteleux. £ fait surtout des discours, des chansons, des programmes, et fait le directeur épisodiquement, £ fait surtout l’enragé, le révolté piégé, commet quelques viols, quelques séquestrations, quelques enlèvements, et fait surtout le meneur, le séducteur, le savant, l’amoureux.

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